Comme ils l’avaient d’ores et déjà annoncé, la CFDT, la CFE-CGC et FO ont signé le projet de convention collective nationale, qui passe donc de projet à future convention collective. La CGT était le seul syndicat représentatif de la métallurgie à s’opposer à ce cortège d’accords que nous jugeons régressifs. Il s’appliquera pleinement en 2024.
Un texte plus simple ?
Commençons par faire l’avocat du diable et cherchons les avantages du texte (en les nuançant quand même un peu). Pour approfondir, nous invitons à consulter le projet de convention collective nationale établi le 21 décembre 2021, celui qui a été signé le 7 Février 2022. S’il n’est pas diffusé avec ce tract, n’hésitez pas à nous le demander, les numéros de pages mentionnés y font référence.
Premier avantage du texte : il serait plus simple. En tout cas, il est plus court. Vous le lirez dans tous les articles qui parlent de cette signature : on passe de 78 à un seul, ou encore de 7000 pages à seulement 230. Mais les amateurs de jeu de go le savent : ce n’est pas parce que la règle du jeu est courte que le jeu est simple. Et simplifier ne veut pas dire améliorer ! Supprimer l’«empilement » de 7000 pages, c’est aussi effacer d’un seul coup 50 ans de négociations et de conquis sociaux…
La CFDT avance une augmentation de la rémunération minimale pour une majorité des salariés, mais comme nous le verrons plus loin, il est impossible de savoir où se trouve l’équivalence entre nos classifications actuelles et les classifications futures… Donc rien n’est moins sûr. Un dernier point positif : la paie des salariés en arrêt maladie serait maintenue à 100% plus longtemps. Sans doute, mais le patronat acquiert aussi la possibilité de licencier un salarié en arrêt maladie si son absence perturbe le fonctionnement de l’entreprise (Article 91.2, page 100). Et devinez qui décide si l’absence du salarié perturbe le fonctionnement de l’entreprise ? La direction, bien évidemment.
La direction va noter notre travail.
Vos droits, votre statut, votre salaire minimum, votre prime d’ancienneté, votre classe dans le TGV (sans rire), tout cela dépendra de la cotation que la direction donnera à votre poste de travail. A partir d’une grille de 6 critères, chacun notés sur 10 (voir la grille jointe, ou page 61), la direction vous donnera une cotation entre 6 (un point partout) et 60. Soit 55 cotations différentes.
Et quand nous disons la direction, c’est bien la direction seule qui décide. Son seul devoir est de vous informer de sa décision, mais personne ne peut réellement négocier ou contester l’évaluation de son poste (article 63.2.1, page 66) … D’ailleurs, il est probable que des postes équivalents ne soient pas évalués avec la même cotation. Autrement dit, ce n’est pas parce que vous faites le même travail que votre collègue que vous serez noté de la même façon. On parle de 22000 évaluations de postes différents pour 34000 salariés Thales en France. Vous aviez dit simplification ?
Cadre ou pas cadre ?
L’image ci-dessous se passe de commentaires (mais on va en faire quand même). D’après l’article 62.2 (page 63), vous êtes cadre si vous faites partie d’un groupe d’emploi au-dessus de F, donc si votre poste est coté au-dessus de 37 points. Le statut, comme tout le reste, n’est donc plus lié au salarié mais bien au poste occupé. Vous pourrez donc perdre le statut cadre à l’application de l’accord !
Vous vous demandez si vous serez ouvrier, technicien ou administratif ? Rassurez-vous, les autres statuts n’existeront plus. Vous serez juste « pas cadre ». Par conséquent, vous aurez une prime d’ancienneté (article 142, page 148) mais plus d’accès automatique au forfait jour (article 103.1, page 116) ou à la première classe du TGV (article 170, page 167), ou à bien d’autres choses encore…
Conserver son statut cadre lors de l’application ne relève pas de l’évidence. Partant du principe que la majorité des postes d’ingénieurs ou cadre actuels nécessitent un Bac+5, en se référant à la grille d’équivalence (article 61.2, page 62), on peut évaluer le degré de connaissance à au moins 7. Puisqu’il faut au moins 37 points pour être cadre, il vous faut une moyenne de 6 point dans tous les autres critères… Vos souvenirs de bulletins de note doivent vous revenir ? Je vous laisse relire la grille d’évaluation, mais ce n’est pas forcément évident pour tous les cadres actuels d’atteindre ce score… Notamment quand 4 des 5 critères restants (autonomie, contribution, encadrement et communication) favorisent plutôt les profils de managers ! Si vous êtes « juste » développeur, vous pourriez perdre votre statut.
Et le salaire ? Et la prime d’ancienneté ?
La grille des minimums de salaire (annexe 6, page 188), ça c’est sûr, elle est plus simple. Forfaits jour, ne criez pas trop vite (mais vous pouvez crier quand même), elle est à majorer de 30% si vous travaillez sur une base de 40h par semaine. Cela dit, en faisant le calcul, on y perd vite… Si vous êtes en position 2, indice 114, votre minimum est de 43 380€. Si vous passez F11, votre minimum sera de 42 250€. Et ce minimum ne montra plus automatiquement !
Petit bonus pour les nouveaux cadres : les signataires de la convention (on ne vous redit pas qui) estiment qu’il faut 6 ans d’ancienneté dans l’entreprise pour avoir le droit au salaire minimum du groupe F (et seulement celui-ci). Donc, vos minimums seront réduits de quasi 20% à l’embauche, puis augmentés petit à petit au cours de votre prise d’ancienneté dans la même entreprise. Donc, si vous êtes jeunes, vous travaillerez pour moins cher !
Quant à la prime d’ancienneté, le nouveau calcul est détaillé en annexe 7 (page 190). Selon toute nos simulations, on y perd aussi. Par exemple, la prime d’ancienneté d’un ouvrier coefficient 255 avec 10 ans d’ancienneté est aujourd’hui de 142,98€ (avenant du 15/01/2021 de la convention du Maine et Loire). Avec le nouveau calcul et la valeur du point actuelle (5,34€), si on considère que le même ouvrier sera de classe C5 (ce qui dépend entièrement de l’évaluation de son poste…), sa prime sera de 117,48€. Bien-sûr, le montant de sa prime sera compensé pour correspondre à son niveau de début 2023 jusqu’à ce que le nouveau calcul l’atteigne… Mais ça veut dire qu’il faudra attendre des années pour qu’elle augmente !
Pour revenir au salaire, à la première application de l’accord, vous n’y perdrez pas non plus (article 69, page 71), mais si vous étiez jusqu’ici poussé par vos promotions (automatiques ou pas), il vous faudra dorénavant changer de poste pour qu’une telle augmentation survienne. Et n’oubliez pas que les nouveaux embauchés seront directement mangés à cette sauce ! Vous avez dit attractivité ?
Et on n’a même pas eu le temps de parler des heures supplémentaires ajoutées par l’employeur, de la réduction du temps de repos minimum, ou même de l’ouverture du travail le dimanche ! Lisez la convention, posez vos questions. Nous avons besoin de tous les avis pour les négociations locales à venir !